novembre 11, 2021

Sarank > mon voile et ma premiere experience en entreprise

LE VOILE – Aujourd’hui, quand on est une femme, musulmane et que l’on cache ses cheveux en France, on a cette impression d’être le sujet principale des politiques et des médias français. Le fameux port du voile. L’autoriser ? L’interdire ? Laisser la parole aux femmes concernées ? Toutes ces choses qui font qu’on est sceptique sur le monde du travail, en plus de la crise sanitaire qui a énormément restreint les ressources des entreprises. Pour ma part, mon expérience n’était pas mauvaise, mais en tant que jeune stagiaire, j’ai appréhendé mon arrivée en entreprise et cela m’a pris du temps à assumer ma couronne.

Une année confinée mais un malaise à combler

Je suis entrée en DUT Gestion des Entreprises et des Administrations début septembre 2020. Cette année fut très compliquée pour moi : je n’ai même pas fait 1 mois à l’école sur 10. Je jonglais entre ma chambre, la salle de bain, la cuisine et parfois ma terrasse ou mon jardin. Mais pour valider ma première année, je devais réaliser un stage de 4 semaines au sein d’une organisation. Quand je suis entrée à l’IUT, je ne cachais pas mes cheveux. Bien au contraire, je portais des mèches, mes cheveux naturels et parfois même des perruques. Mais je me suis remise en question au cours de l’année, pendant le mois de Ramadan, toujours confinée à la maison. Depuis cette période, j’ai décidé de les cacher mais pas de me voiler, tout simplement parce que je ne me sens pas prête. A ce moment-là, j’avais déjà trouvé mon stage dans un cabinet de conseil ou du moins LE cabinet de conseil étant donné qu’il est leader sur les marchés nationaux et internationaux. Il m’avait recruté sans savoir que j’avais décidé de porter un couvre-chef. Il me restait un peu moins de deux mois avant mon arrivée en entreprise. J’étais assez stressée, je ne savais pas du tout si je devais les prévenir ou simplement me jeter dans la gueule du loup. Mais j’ai décidé d’y aller avec mon foulard. J’étais la seule hormis les deux femmes de ménage à avoir les cheveux masqués.

Finalement, je n’ai pas eu de remarques ou de regards insistants mais cela ne m’avait pas mise en confiance pour autant. J’ai attendu le lendemain, lors d’un jeu d’entreprise alimenté par des débats sur les discriminations pour poser la question. C’est comme si c’était un signe et qu’on me tendait la perche. J’ai saisi cette occasion et j’ai vite eu une réponse. Selon, je ne sais plus quelle règle, le règlement de l’établissement actuel du stagiaire s’applique automatiquement et entièrement à celui de l’entreprise accueillante : autrement dit, si mon école m’autorise à porter le voile, alors mon entreprise ne peut m’empêcher de le porter. Quand j’ai appris cela, c’est comme si mon cœur renaissait. J’ai senti un poids en moins sur mes épaules et j’avais cette envie de m’affirmer, d’assumer ce foulard qui dérangeait tant. Puis comme dans un film, lors de cette fameuse causerie, la question du voile est arrivée et un débat a vite pris vie. Honnêtement, j’ai défendu ce sujet comme si c’était mon combat. J’ai tout de suite pris la parole et donné du goût à ce débat, si fade à mon humble avis. Si je devais être franche, mes collègues me paraissaient stupéfaits face à mon intervention et j’ai senti comme une gêne immense qui circulait dans cette salle. Mais je n’avais pas honte, je pourrai même dire que cela ne m’a pas dérangé du tout. Selon moi, si ce sujet gêne c’est qu’on est conscient du problème mais qu’on s’en défile. Se sentait-il méprisé ? Ou même menacé ? Je ne sais pas et je n’ai pas vraiment envie de le savoir.

Ce foulard, si fin en apparence mais qui pesait si lourd

Plus facile à dire qu’à appliquer : assumer son foulard.
Dans mon service, la Fondation d’entreprise, plus de problème de foulard. Mais lorsque je devais changer de secteur, comme en audit par exemple, et être confronté à des collaborateurs beaucoup moins chill que mon secteur initial, ma boule au ventre se faisait à nouveau sentir. Situé au 33ème étage en plein plateau de la Défense, ce jour-là, nous n’étions qu’une dizaine. Et pour couronner le tout, j’étais la seule femme. J’entre aux alentours de 9 heures 10, je suis la première, puis 9 personnes me suivent. J’ai littéralement envie de disparaître. Pour si peu me direz vous, mais cette fois, on me regardait d’un air assez méprisant, du moins, c’était ma perception. On s’est salué, puis quelques-uns sont venus faire ma connaissance. Lorsqu’ils ont appris que j’étais une jeune stagiaire de 18 ans, leurs visages se sont adoucis (PS : c’est MA perception, certains étaient moins souriants que d’autres). De là, l’un d’entre eux m’a avoué qu’il me regardait car il ne m’avait jamais vu à cet étage et trouvait bizarre que j’arrivais un jeudi étant donné que les nouveaux collaborateurs, peu importe leur fonction, arrivent tous les lundis. J’ai alors compris que ces regards n’avaient rien à voir avec mon foulard mais plutôt avec mon statut.

Je le sais bien, ça peut faire penser à quelqu’un ayant un comportement de paranoïaque, qui pense que tout tourne autour d’elle mais c’est pas si simple. Inconsciemment, toutes ces réflexions me nuisent. Mais lorsque tous les médias parlent de vous, en négatif. Que sur les réseaux, on voit énormément de violences et discriminations islamophobes, on a l’impression qu’on va le vivre et que beaucoup de comportements sont adoptés à notre encontre.

Un témoignage qui m’a tant bouleversée

Etant quelqu’un de susceptible, dans tous les sens du terme, dès que je vois des discriminations ou des violences, je ne peux m’empêcher d’y penser de manière impulsive. Je vais carrément me faire des scénarios dans lesquelles ces situations m’arrivent et comment m’en sortir. D’ailleurs j’écris souvent pour me libérer l’esprit.

Par exemple, en 2015, une jeune femme est revenue voilée au travail après un congé maternité et a été licencié pour avoir refuser de retirer son hijab. C’était un groupe connu de prêt-à-porter. Elle a fait appel de la première instance et a obtenu gain de cause : 10 000€ de dommages et intérêts. Quand j’ai pris connaissance de cette histoire, j’étais meurtri. C’est vraiment le terme. Je ne comprenais pas cette injustice. Après tout, le voile n’est qu’un accessoire. Certes obligatoire mais pas qu’en Islam. Je veux dire qu’on ne s’affole pas devant une femme chrétienne et voilée mais musulmane si. D’autant plus que ces femmes sont discrètes et ne tourmentent personne. Cette obsession pour un simple foulard m’affole. En plus de tous ces hommes politiques qui s’obstinent à parler d’un sujet qu’ils ne maîtrisent pas, dont ils ne sont même pas concernés, des propos bourrés d’amalgames, de fausses informations, s’en est trop. Quand est-ce que des personnes “légitimes” vont-elles se faire entendre dans le respect et la bienveillance ? Quand est-ce que les femmes voilées pourront exercer un métier adéquat à leur niveau d’étude sans que leur foulard soit un obstacle à leur embauche ? Quand est-ce que l’éducation en secondaire sera accessible à celles-ci ? Et qu’on ne me parle pas de laïcité… Une personne objective et dotée d’un minimum de science sait qu’il ne s’agit plus là de laïcité mais bien d’un autre sujet.

Sarank