« On ne choisit pas d’où l’on vient, mais on décide où l’on va » a affirmé Saly Diop, conseillère municipale à Meaux, à travers sa première publication : Imani. Cette affirmation ne pourrait pas être plus vraie dans mon cas. Issue d’un lycée REP +, ces trois années m’ont permis de mieux cerner l’environnement dans lequel je m’apprêtais à évoluer : le milieu des études supérieures.
Une grande école, pourquoi pas moi ?
À l’entrée du lycée, certains se sont vus avoir accès à un programme : “Une grande école, pourquoi pas moi” encadrée par l’ESSEC. Durant trois ans, nous avons ainsi pu travailler sur nous autour de différentes thématiques : la conception de projets, l’art oratoire, l’art d’écrire… Tout ce qui permet de se structurer et de se construire notamment dans son rapport aux autres.
Ce programme ne regroupait qu’une dizaine d’élèves et sans le vouloir, j’ai alimenté une inégalité. Je faisais partie d’un groupe, une communauté à laquelle beaucoup auraient voulu avoir accès. La tribu des Avengers de ma ville. Mais ce n’est que bien plus tard que je m’en suis rendue compte.
Grâce à ce sésame, j’ai rencontré des diplômés de l’ESSEC, des professeurs, des doctorants et me suis rendue compte qu’il existe une réelle fracture sociale, mais qui ne dépendait pas que de nous. L’environnement s’y prête volontiers et est alimenté par nos normes et valeurs qui influencent nos comportements.
Une discussion sur la banlieue arrive sur le tapis, et au gré de mes rencontres je me suis rendue compte qu’ils adoraient ça, parler de choses qu’ils ne connaissent pas. Je me souviens de cette fille qui a décidé de nous parler d’un jour où elle a pris le RER (l’aventure commence au bas de la rue) et s’est rendue dans le département du 93 (incroyable!). Cette aventure l’avait marquée visiblement et elle nous parlait de manière volubile. Est arrivé un moment où je me suis perdue dans la conversation et ne savais plus si elle nous parlait de se visite du département ou d’un safari. Avais-je muté en girafe ou antilope ?
À la fin de ces trois années, j’ai compris deux choses : que nous pouvions faire avaler, n’importe quoi à n’importe qui avec des phrases bien tournées et que chacun d’entre nous, à sa hauteur, alimente les inégalités.
Objectivement, les stéréotypes sont une contamination beaucoup plus diffuse dans la société que n’importe quel virus. Elle nous éloigne les uns des autres, alors que plus que jamais, dans un monde incertain, nous avons besoin de compréhension et d’empathie.
Le chapitre sur les inégalités scolaires
Parler des inégalités me fait réfléchir sur mes premiers débats au lycée au sein de la filière économique et sociale. Je m’attendais à des échanges vifs et riches sur le comportement humain et le fonctionnement de la société. Une grande déception quand arriva le moment de parler des inégalités.
Très rapidement, cette conclusion s’est imposée à moi : le chapitre sur les inégalités scolaires n’était pas représentatif de la réalité. Tous les graphiques tirés de l’INSEE, ces études statistiques et ces films n’avaient aucun réel impact sur notre vision du monde, et n’étaient pas représentatifs. Je ne crois pas me tromper lorsque j’affirme que les termes plafonds de verre, capital culturel, patrimoine ne nous inspiraient rien et pour cause nous ne connaissions que ça : notre ville, notre banlieue et ce lycée. Ils n’étaient que des concepts dépourvus de chair et de réalité. En réalité, on se bat rarement contre des concepts. D’autant que nous étions contents de nous retrouver dans notre environnement.
Et puis je me suis posé cette question : comment pouvions-nous apprendre à combattre les inégalités quand l’école, elle-même, était créatrice d’inégalités et nuisait à la cohésion sociale qu’elle affectionne tant ?
Alors il était facile de nous jeter sur Parcoursup, qui représentait en réalité une réelle fracture sociale, et d’affirmer que le seul frein à cette ascension sociale, c’était nous-même. Mais était-ce si facile ? Pouvions-nous nous détacher si simplement de ce que nous avions toujours connu ? C’est ce que j’ai tenté de voir en passant un concours.
Le concours Sciences Po
Sciences Po Paris, c’était l’échappatoire, mon The Voice en mieux, le moyen de prouver à tous que mon origine sociale n’enlève rien à mes compétences et à mes projets futurs.
C’était le travail d’une année, des gens qui ne comprennent pas mes envies, beaucoup de jugement et de remise en question pour un résultat très différent de mes attentes premières.
Durant cette année, beaucoup m’ont accompagné, mes professeurs, ma famille, mais également l’association Ambition Campus : une association de Sciences Po qui vise à réduire les inégalités dans le milieu scolaire.
À travers la convention d’éducation prioritaire qui permettait à quelques miraculés de passer le concours sous un autre format. Nous devions présenter une revue de presse sur un sujet qui nous plaisait. Les intitulés de ma revue de presse étaient simples : “La crise humanitaire au Yémen” et “ La vente d’armes en France”. Ces sujets étaient l’occasion de découvrir de nouveaux sujets avec des enjeux politiques et économiques importants.
La suite est là, dans mon dossier : j’ai travaillé, passé les oraux blancs, réussi les premières étapes et suis finalement arrivée jusqu’à l’oral final.
L’oral final était maintenant ma dernière épreuve, un peu comme l’épreuve des poteaux dans Koh-Lanta, le seul obstacle entre mes projets et cette école.
La crise sanitaire a poussé Sciences Po à faire passer ses oraux d’admissions en distanciel, quoi de plus convivial que d’échanger derrière un ordinateur. De quoi rajouter un caractère insolite à la situation qui était déjà grotesque.
Caméra allumée, un silence dans la maison, j’attendais mon jury. Frédéric Mion, ancien directeur de Sciences Po et une magistrate de l’ENA, me font soudain face. D’un coup, je bascule, les statistiques et les habitus me rattrapent, me tirent vers le fond. Je perds mes moyens, je ne me sens plus à ma place, je me sens de trop, inévitablement dépassée. J’ai perdu le chemin des codes.
Deux ans plus tard, je ne suis pas à Sciences Po, je suis membre de l’association Ambition Campus. Le regard a mûri. La certitude de son chemin de vie s’est développée. Et je me rends compte que mon ascension sociale ne dépend pas uniquement de l’établissement dans lequel je suis, mais bien de moi, de mes expériences, de mes aptitudes et de mes envies. Et ça, on ne nous l’a pas dit.